Nos vitres produiront bientôt de l'électricité

De fines couches transparentes de pigments incolores appliquées à l’intérieur du double vitrage des fenêtres permettront demain de produire de l’électricité à partir de l’énergie solaire sans que les occupants ne s’en aperçoivent.

C’est une des innovations les plus surprenantes révélées par "l’appel à manifestation d’intérêt" mené par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et les SATT.

L’Ademe mène le branle-bas de combat pour un avenir énergétique indépendant et décarboné. Son "appel à manifestation d’intérêt" (AMI) sur la "résilience énergétique" a détecté, grâce à l’appui du réseau des 13 "Sociétés d’accélération du transfert de technologies"(SATT), 27 projets de recherche issus des laboratoires universitaires et proches d’un débouché industriel dans le secteur de l’énergie produite sur le territoire, pérenne, stable et non émettrice de gaz à effet de serre. Le développement réalisé au Laboratoire de réactivité et de chimie des solides (CNRS, université de Picardie Jules-Verne) retient l’attention par son élégance et son évidence. Il s’agit rien moins que d’ajouter au rôle traditionnel des fenêtres de laisser entrer la lumière tout en retenant le bruit, une fonction de production d’énergie photovoltaïque avec des rendements qui vont grandement aider les bâtiments à atteindre leur indépendance dans leur consommation d’électricité.

Frédéric Sauvage, directeur de recherche au CNRS, l’affirme : il n’a rien inventé. "La faculté d’une cellule solaire à pigment photosensible à produire de l’énergie a été mise au jour en 1991 par un professeur de l’École polytechnique de Lausanne, Michaël Grätzel, qui a d’ailleurs donné son nom à ces cellules", raconte Frédéric Sauvage. L’idée de cette technologie, c’est de reproduire le processus de la photosynthèse opéré chez les plantes par la chlorophylle qui absorbe la lumière et produit de l’énergie pour le développement de la plante. Ici, les molécules organiques, qui constituent le pigment synthétique, produisent des charges électriques qui sont ensuite véhiculées au travers de nanoparticules d’oxyde de titane. Depuis une trentaine d’années, ce schéma de principe fait l’objet de développements pour à la fois améliorer le rendement des pigments mais aussi assurer leur stabilité pour éviter un vieillissement trop rapide qui obérerait toute chance d’être adopté par l’industrie. "Notre originalité, c’est que nous ne cherchons pas de pigments aptes à capter le rayonnement dans le spectre visible de l’œil humain entre 420 et 700 nanomètres (nm) mais dans l’invisible, c’est-à-dire dans le proche infrarouge qui représente environ la moitié du flux du rayonnement solaire" expose Frédéric Sauvage. Il s’agit donc de produire de l’énergie sans que cela se voie.

L'idée : reproduire en la simplifiant la complexe photosynthèse des plantes

Derrière l’idée, le marché est évident. Les directives européennes sur les bâtiments imposent à la fois des constructions bien isolées et capables d’affronter les effets du changement climatique (tempêtes, canicules) mais aussi aptes à être indépendantes en électricité et chauffage, voire devenir "à énergie positive" (Bepos) c’est-à-dire capables d’exporter une production en excès. Des fenêtres qui font à la fois office d’isolant et de producteur d’électricité sont doublement gagnantes d’autant que la densification du tissu urbain implique que les surfaces de toitures ne vont plus augmenter au contraire des murs de bâtiments qu’on va devoir construire plus haut. Les façades doivent donc devenir de nouveaux espaces de production en complément des panneaux photovoltaïques des toitures.

La reconnaissance de l’AMI de l’Ademe et de la SATT Nord couronne des années de recherche en laboratoire. La sélection des pigments les plus performants est un premier pas mais il faut aussi imaginer la façon dont les très couches fines de molécules et les couches conductrices comme l’oxyde de titane vont pouvoir s’intégrer au verre. "En laboratoire, nous avons réalisé des carreaux de verre où ces fines couches sont appliquées soit par système d’impression, soit par trempage", décrit Frédéric Sauvage. La fenêtre est par ailleurs un milieu presque extrême pour des matériaux sensibles. En pleine canicule, la température à la surface du verre est extrêmement élevée. Or, ces conditions accélèrent le vieillissement des cellules de Grätzel. "Notre cellule transparente est parfaitement stable jusqu’à 50°C mais vieillit très vite au-delà", poursuit Frédéric Sauvage.

Du laboratoire vers le marché

Tout un travail, très long et fastidieux, consiste également à augmenter le rendement de conversion. Aujourd’hui, les résultats sont déjà très satisfaisants. La puissance électrique générée est de l’ordre de 35 watts-crête par m² (Wc/m²). "Si l’on considère qu’en moyenne une maison individuelle contemporaine compte 50 m² de surface vitrée et que l’ensoleillement moyen en France sur une année est de 1500 kWh/m2, on obtient une production énergétique théorique de l’ordre de 2600 kWh par an » calcule Frédéric Sauvage. Selon l’Ademe, la consommation moyenne d’un foyer s'établit autour de 4500 kWh par an.

"Cela fait déjà quelques années que nous suivons les travaux de ce laboratoire, assure Fabrice Lefevre, président de la SATT Nord. Dans le cheminement d’une nouvelle technologie vers la commercialisation, nous sommes pour cette innovation au moment où il faut imaginer une stratégie pour sa valorisation, décider des dépôts de brevets éventuels et rechercher des entreprises qui acceptent de prendre un risque." Frédéric Sauvage devra ainsi décider si son projet baptisé "Transition" mérite la création d’une start-up (ce que le laboratoire a déjà entrepris pour un autre procédé) ou bien l’adossement à un grand groupe industriel soit de l’énergie, soit du bâtiment. La SATT et l’Ademe vont financer cette étape qui devrait durer au moins deux ans. C’est le délai que se donne Frédéric Sauvage pour doubler le rendement des cellules à 70 W/m² et assurer leur longévité sur plusieurs décennies pour en garantir la rentabilité.

source : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/developpement-durable/nos-vitres-produiront-bientot-de-l-electricite_169580?xtor=RSS-15