À Montpellier, on teste une caisse alimentaire façon « Sécu »

Pour que l’alimentation bio et locale soit accessible à tous, une « caisse alimentaire commune » a été lancée à Montpellier. 450 Montpelliérains cotisent selon leurs moyens... et reçoivent 100 euros par mois pour mieux manger.

 

Montpellier, reportage

 

Cabas à l’épaule, Angel zigzague entre les étals colorés du marché des Aubes, hésitant. Yaourts de brebis, légumes bio, miel. Le jeune homme, demandeur d’emploi, habitué des « grandes surfaces et de l’épicerie solidaire », vient ici pour la première fois. Cela ne fait que quelques semaines qu’il a rejoint la « caisse alimentaire commune ».

 

Cette initiative, lancée officiellement en début d’année dans la métropole de Montpellier, vise à « rendre l’alimentation durable accessible à tous ». Pour ce faire, la caisse s’appuie sur un principe vieux comme la Sécu : cotiser selon ses moyens, recevoir selon ses besoins. Concrètement, chacun des 450 membres contribue chaque mois – entre 1 et 150 euros, voire plus – puis tous reçoivent la même somme de 100 euros. Un montant à dépenser dans des lieux de distribution alimentaire précis : marchés paysans, épiceries bio et locales, groupements d’achat. Pour cela, les adhérents utilisent la Mona, une monnaie créée spécifiquement pour la caisse.

 

« Le but, c’est de répondre aux enjeux de précarité alimentaire et de précarité agricole », précise Marco Locuratolo, membre de la Fédération régionale des Civam — des groupements paysans — qui accompagne le projet depuis le début. Autrement dit, il s’agit d’aider les habitants à accéder à des produits sains et écologiques tout en permettant aux agriculteurs de vivre de leur production, sans qu’ils aient à tirer les prix vers le bas.

 

En France, un paysan sur quatre vit sous le seuil de pauvreté. À l’autre bout du système alimentaire, une personne sur cinq ne dispose pas d’un accès garanti à une alimentation suffisante, de qualité et durable. Pour pallier ces inégalités, l’État français mise aujourd’hui sur l’aide alimentaire – un dispositif devenu un filon juteux pour l’agro-industrie et la grande distribution. La caisse commune est ainsi née en réaction aux dérives de l’aide alimentaire.

 

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Au sortir du premier confinement, cinq organisations – Vrac, le réseau Cocagne, l’Union des épiceries solidaires, le Secours catholique et le réseau Civam – se sont réunies pour pousser les autorités à agir. « Nous voulions mener des expérimentations locales pour favoriser l’accès de tous à une alimentation digne », précise Pauline Scherer, sociologue, membre de l’association Vrac et Cocinas.

Le comité citoyen vote pour choisir les nouveaux partenaires de la caisse alimentaire. © David Richard / Reporterre

Avec l’aide financière du plan de relance, plusieurs initiatives ont vu le jour en France. À Montpellier, vingt-sept organismes – collectifs écolos, associations paysannes et sociales, labos de recherche, collectivités locales – se sont regroupés avec un objectif : « Porter une transformation radicale de notre système alimentaire », dit Marco Locuratolo. Inspirés par l’idée d’une Sécurité sociale de l’alimentation, les acteurs ont donc décidé, fin 2021, de tester son application très concrète à travers une caisse commune.

« Je pense que ça va améliorer ma santé » 

Aujourd’hui, cette initiative réunit 450 participants tirés au sort. La caisse est gérée par un comité citoyen d’une cinquantaine de membres, qui fixe les montants des cotisations et décide des lieux de vente « conventionnés ». Oui à Biocoop, non à Carrefour. Des chercheurs suivent de près l’expérience, afin de démontrer – ou pas – l’efficacité de ce dispositif et sa possible transposition à d’autres territoires. « Il y a encore plein de questions et d’incertitudes à lever avant de pérenniser la caisse », prévient Pauline Scherer.

Déjà, le système semble prometteur. Parmi les personnes impliquées, beaucoup de précaires, à qui la caisse apporte un souffle d’air frais. Après des aléas de la vie, Mikaële, 75 ans, s’est retrouvée seule et sans ressources. « Je mangeais les conserves de l’aide alimentaire, mais ce n’était pas de qualité, raconte-t-elle. Je me demandais sans cesse pourquoi une alimentation saine n’était pas accessible à tous. » Elle s’est donc immédiatement investie dans le projet de caisse commune. « Désormais, je peux m’acheter des fruits et des légumes de qualité, et je pense que ça va améliorer ma santé », témoigne la retraitée, qui souffre de diabète.

« Nous voulions mener des expérimentations locales pour favoriser l’accès de tous à une alimentation digne », dit Pauline Scherer, sociologue. © David Richard / Reporterre

À ses côtés, Samira acquiesce. « Ça me permet d’améliorer le quotidien, et de faire plaisir à mes enfants, avec des yaourts ou du fromage, sourit cette mère de famille, qui élève seule trois de ses quatre petits. Au-delà de l’aide financière, ce sont des liens affectifs et un apprentissage permanent. » Ce samedi de mai, la cinquantaine de membres du comité citoyen, dont elles font toutes deux partie, s’est réunie dans les locaux ensoleillés du Secours catholique. Au programme : discussion autour des magasins partenaires, atelier sur les liens entre santé et alimentation, repas partagé. « J’aime venir ici, j’apprends énormément et je me sens plus forte », ajoute-t-elle.

Autre aspect positif, les producteurs approuvent l’initiative. Au marché des Aubes, Giulia, jeune apicultrice en cours d’installation, voit d’un œil ravi de nouveaux clients arriver. « On a des personnes qui n’auraient jamais acheté du miel bio à dix euros, observe-t-elle. Et ça nous donne de la visibilité. » Sur le stand voisin, Vincent vend les fromages et les yaourts de ses soixante-quinze brebis. « Je réfléchis depuis longtemps à faire des tarifs sociaux pour que de nouvelles personnes puissent avoir accès à nos produits, explique-t-il. Mais à mon échelle, ce n’est pas évident. Je suis ravi de voir ce projet social et politique prendre forme. »

L’expérience tient grâce à des subventions

Si l’initiative rencontre localement un petit succès, son avenir reste encore en suspens. Parmi les points d’interrogation, le modèle économique. Les 400 000 euros de budget de la caisse proviennent principalement des subventions de la Ville et de la métropole de Montpellier, ainsi que de la fondation privée Carasso. « On a besoin de beaucoup de personnes qui donnent plus pour que d’autres puissent cotiser moins, explique Marco Locutarolo. On a calculé qu’il faudrait environ 1 100 personnes avec des cotisations entre 110 et 120 euros pour “équilibrer” celles de 300 personnes, de 1 à 90 euros. »

« Ça me permet d’améliorer le quotidien, et de faire plaisir à mes enfants, avec des yaourts ou du fromage », dit Samira, qui participe au comité citoyen. © David Richard / Reporterre

Contrairement à la Sécu classique, les cotisations sont fixées « en liberté guidée ». Autrement dit, elles sont à prix libre… mais conscient. Les nouveaux arrivants se voient fournir un « guide d’autodétermination », qui leur permet d’évaluer le niveau de contribution conseillé, en fonction de trois critères : le revenu du foyer, le budget disponible – une fois les charges fixes payées – et le budget alimentaire [1]. Mais « rien n’empêche une personne de payer moins (ou plus) que ce qui est conseillé », souligne Marco.

L’expérience tient donc, aujourd’hui, grâce au soutien public. « C’est une expérimentation, mais si elle se montre efficace pour sortir les gens de la précarité alimentaire, on espère pouvoir l’étendre à toute la population montpelliéraine », dit Marie Massart, adjointe au maire déléguée à la politique alimentaire. Pour l’élue, il faudrait réorienter une partie des fonds étatiques dédiés à l’aide alimentaire — « mais aussi les aides de l’Europe » — vers ce type de dispositifs.

Au marché paysan des Aubes, on peut payer certains commerçants grâce à la Mona (la monnaie conçue pour la caisse). © David Richard / Reporterre

Au-delà, il s’agit évidemment de pousser pour une Sécurité sociale de l’alimentation à l’échelle nationale. Avec des cotisations « alimentaires » pour tous et toutes qui, à l’instar des cotisations sociales, seraient prélevées à la source et viendraient alimenter une caisse nationale. « On en est encore loin, tempère Marco Locuratolo, mais la Sécu de 1946 a mis des années avant de se concrétiser, et elle est le résultat d’une convergence de toutes les caisses et mutuelles locales qui existaient déjà. » Du local au global… la recette n’est pas nouvelle.

« Cette expérimentation est destinée à devenir plus grande, abonde Isabelle Touzard, vice-présidente à la métropole. Mais ça a du sens que ce modèle émane d’abord des territoires, puis se diffuse peu à peu. » Depuis le début de l’année, les boîtes mel de Marco et de Pauline croulent sous les sollicitations. Collectivités locales ou associations, toutes veulent expérimenter à leur tour une Caisse alimentaire commune. « Nous n’avons pas de dispositif clé en main à proposer, il faut adapter l’idée à chaque territoire et à ses spécificités », avertit la chercheuse.

Source : https://reporterre.net/A-Montpellier-on-teste-une-caisse-alimentaire-facon-Secu