Hommage aux langues et aux langues maternelles par Mme Asma al-Assad devant l’Université des Études étrangères à Beijing

Asma al-Assad

Mesdames et Messieurs,

De Damas, la plus ancienne capitale habitée à travers l’Histoire, à Pékin, la capitale des plus anciennes civilisations ; de Syrie, berceau du premier alphabet, à la Chine, patrie de l’une des langues et dialectes les plus anciens et les plus diversifiés ; je me tiens devant vous aujourd’hui submergée de gratitude et de fierté. Gratitude, pour la chaleur de votre accueil, fière de vous, pour être capable de m’adresser à vous dans ma langue maternelle et votre grande capacité à la comprendre.

 

Parler devant vous de la langue arabe et dans l’une des universités les plus importantes et les plus anciennes de Chine est un reflet des relations solides qui nous unissent, historiquement et culturellement, depuis que les caravanes de la «Route de la Soie» voyageaient entre la Chine et le Levant, il y a des milliers d’années.

 

C’est pourquoi lorsque nous discutons de l’enseignement de la langue arabe, ici même, avec autant de sérieux et de passion, nous ne parlons pas uniquement d’apprentissage, de grammaire et de vocabulaire, mais plutôt d’une langue qui fait partie de la diversité culturelle et sociale partagée entre nos deux civilisations depuis des temps immémoriaux.

 

Honorable assistance,

 

Il est indubitable que nous sommes tous confrontés aux mêmes tentatives d’extinction des cultures nationales des peuples par des moyens multiples quant à leur forme, mais dont le fond est toujours le même. Des tentatives menées au titre du développement et de la modernité, mais dont le contenu est la dissolution de l’identité et de l’appartenance avec l’une des armes les plus puissantes pour y parvenir : l’attaque des langues maternelles et un regard considérant ceux qui s’y accrochent comme rétrogrades. Car, dominer le langage est le chemin le plus court pour dominer la conscience et, par conséquent, empêcher toute indépendance décisionnelle, brouiller les sociétés, effacer leur identité et leur singularité.

 

Tous ces modèles déformés de langues hybrides, que nous connaissons aujourd’hui, ne sont que l’une des manifestations du modèle néolibéral. Tout comme l’on manipule le genre humain pour l’altérer et créer un troisième genre, on altère le langage. Ces deux actions sont le fondement et l’essence du néolibéralisme allant de la délinquance morale jusqu’à l’imposition de concepts anormaux et déviants du statut de la famille, contraires à la nature humaine.

 

Mesdames et Messieurs,

 

Les langues ne vivent que grâce au renouvellement, à la communication avec autrui et à l’adaptation aux sciences du présent et à sa terminologie. La langue est la sève de l’homme. Et l’homme est un être social qui ne grandit pas seul et dans l’isolement. C’est pourquoi l’appel à être fier de sa langue maternelle, à tenir au patrimoine culturel national et à le faire revivre, n’est pas un appel à s’isoler des autres cultures, mais plutôt un appel à s’accrocher aux racines d’une main, et à communiquer scientifiquement et culturellement avec les autres cultures de l’autre main ; l’ouverture aux autres peuples avec le respect de soi et des autres menant au développement et au bien-être de l’humanité. C’est l’essence même de l’initiative «La Ceinture et la Route» lancée par la Chine il y a une décennie.

 

Ce qui est peut-être le plus admirable dans l’expérience chinoise, c’est ce développement technique et scientifique stupéfiant que la Chine et son peuple ont réalisé tout en restant fermement attachés à leur personnalité unique, culturelle et civilisationnelle, préservant leur patrimoine, leur langue et leur identité, offrant ainsi un modèle de progression sans dépendance, de modernisation sans dissolution, de développement sans aide et de prospérité économique, en pleine dignité nationale.

 

C’est là que réside le rôle des institutions académiques et culturelles, dont la «Faculté des études arabes» de votre prestigieuse université, devant laquelle je ne peux m’empêcher de saluer le père spirituel de la langue arabe, le professeur Abdul Rahman Najoun1, comme je salue les précieux efforts d’autres personnalités intellectuelles chinoises qui ont enrichi et se sont enrichis de l’«Académie arabe de Damas»2, la plus ancienne académie linguistique du monde arabe. Et naturellement, je n’oublie pas l’écrivain et poète syrien Salama Obaid ; lequel, avec un groupe de professeurs chinois, a rédigé le premier dictionnaire des langues arabe et chinoise, et bien d’autres éminentes personnalités culturelles syriennes.

 

Mesdames et Messieurs,

 

Les pays anciens attachés à leur histoire culturelle et humaine, fiers de leur identité et de leur langue et qui rejettent la soumission et la subordination, ont été et sont toujours convoités par les colonisateurs depuis des milliers d’années jusqu’à nos jours. Tel est le cas de la Syrie, mon pays, lequel s’est confronté à une guerre et se bat encore pour défendre son existence et sa liberté de décision, pour préserver son patrimoine qu’ils ont tenté de détruire et protéger son peuple toujours fier et inébranlable. Il construit ce qui a été détruit, plante ce qui a été brûlé et espère un avenir radieux, aussi difficile que soit son présent.

 

De cet édifice scientifique et culturel d’où sont sortis des centaines de diplomates, d’ambassadeurs et de conseillers politiques, nous ne pouvons que remercier la Chine qui s’est tenue à nos côtés devant les instances internationales et a contribué à empêcher les projets qui étaient et sont toujours en cours d’élaboration contre les États indépendants.

 

Pour conclure, je vous remercie tous pour votre amour de ma langue maternelle, la langue arabe, pour votre passion de l’apprendre, pour avoir rendu possible notre communication d’aujourd’hui à travers elle. Et cela car la langue, en tant que lien ancien entre nos deux civilisations, nous dirige désormais vers l’avenir radieux de nos enfants avec tous ses progrès et sa modernité, mais sans abandon des principes et des bons comportements. La langue porte en elle la fierté et la dignité des sociétés, et il ne fait aucun doute que la Chine et la Syrie portent en elles beaucoup de fierté et de dignité.